vendredi 28 décembre 2007

Team 404, Lovely Shangaï Music, 2006


Un geste simple en version dub (23 février 2006)

Nicolas Exertier - Un geste Simple en version dub (23 février 2006)
© Nicolas Exertier

Au commencement était le souvenir des partitions graphiques de John Cage, Earle Brown, Sylvano Bussotti, Cornelius Cardew...

Les codes barres de cette partition font référence aux livres et aux disques planant sur une conversation que j'ai eu avec un ami (CG) le 23 février 2006. J'ai relevé à cet effet les codes barres de tous les livres et disques qui surimprimaient notre conversation.

Les musiciens doivent s'inspirer de la partition pour effectuer un geste simple en version dub. Cette dernière expression est laissée à leur libre appréciation mais on pourrait imaginer, par exemple, que le geste qu'ils effectueront sera restitué avec un maximum de delay (d'écho) comme dans le dub.

Cette partition peut également être envisagée comme un hommage un peu tordu à Ian Wilson (l'artiste conceptuel). Wilson voulait dématérialiser son art en le restreignant à la discussion mais, en réalisant ce projet, il m'est apparu que c'était chose impossible puisque toute discussion même totalement immatérielle, qu'on le veuille ou non, est informée par des livres, des disques, des journaux, bref par de la marchandise au sens le plus trivial du terme.

Un geste simple en version dub a été interprété à Shangaï par le Team 404 lors du Lovely Shangaï Music (26-28 mai 2006)

© Nicolas Exertier

La Monte Young - Composition # 10 to Bob Morris (1960)


 
"Tracez une ligne droite et suivez la." 
(La Monte Young)

George Maciunas - HOMAGE TO LA MONTE YOUNG

HOMAGE TO LA MONTE YOUNG, by George Maciunas, Jan. 12, 1962(preferably to follow performance of any composition of 1961 by LMY.)

"Erase, scrape or wash away as well as possible the previously drawnline or lines of La Monte Young or any other lines encountered, likestreet dividing lines, rulled paper or score lines, lines on sports fields,lines on gaming tables, lines drawn by children on sidewalks etc."

George Brecht - Three Telephone Events

Quand le téléphone sonne, on peut le laisser sonner jusqu’à ce qu’il s’arrête.
Quand le téléphone sonne, le combiné est décroché puis raccroché.
Quand le téléphone sonne, on répond.

George Brecht, printemps 1961

Esthétique Promotionnelle (A propos de Lilian Bourgeat)

Vernissage : 1er mai 2003, Université de Dijon : Sur les tables dressées en plein air, il y a, à côté des bouteilles habituelles, des gobelets surdimensionnés. Ces gobelets font 46 cm de haut sur 38 cm de diamètre, soit à peu près dix fois la taille des verres normaux qu’ils imitent par ailleurs en tout point. Ceux qui désirent boire doivent se contenter de ces objets et négocier avec leur fonctionnalité problématique. Soudainement un geste banal, quotidien (porter un verre à sa bouche et en boire le contenu) devient laborieux voire impossible. Un membre de la direction de l’université, qui a malencontreusement renversé sur ses chaussures le contenu de son verre, pourrait d’ailleurs en témoigner. Il suffit parfois d’un simple agrandissement pour faire basculer le réel dans la caricature et Lilian Bourgeat, auteur de ce Vernissage, le sait bien. Il ne s’agit pas cependant d’agrandir pour agrandir. Ce que signe l’artiste, en effet, ce n’est pas tant l’objet exhaussé que la situation déstabilisante que celui-ci génère.


L’œuvre de Lilian Bourgeat, apparue au milieu des années 90, peut sembler très diverse dans ses enjeux et méthodes et il est assez difficile de l’identifier à un « style » particulier sinon peut-être, comme l’a très bien vu Frédéric Pintus, à une sorte d’univers Playschool conceptuel détraqué. Travail sur le vernissage ? Cette simple expression pourrait prêter à confusion dans la mesure où elle évoque immanquablement l’Esthétique Relationnelle et ses espaces de convivialités. Lilian Bourgeat n’entretient guère de lien avec ce type d’art ou si un lien est maintenu, il est de nature parodique. L’artiste en effet n’aime guère l’interactivité et ne s’en cache pas. Dans son œuvre, le plus souvent faite d’installations, l’interactivité est explicitement minée. Le spectateur croit pouvoir jouer. Mais c’est bien plutôt l’œuvre qui se joue de lui. [1]
Pour parler de son travail, Lilian Bourgeat utilise fréquemment l’expression de « sculpture promotionnelle ». Elle est ambiguë et recouvre deux significations contradictoires. 1ère signification possible : la « promotion » impliquée par cette expression doit être comprise au sens d’un avancement, ou d’une nomination à une tâche valorisante. Et, de fait, les œuvres de Lilian Bourgeat font accéder le spectateur au rang d’acteur-participant. Mais, on peut également comprendre « promotion » en un sens beaucoup moins noble : le mot en effet évoque aussi et surtout une vente à prix réduit et semble brader d’un même mouvement à la fois les utopies relationnelles des années 90 et le spectateur.
Le premier Dispositif Promotionnel produit en 2001, concentre toute cette ambiguïté. Il s’agit d’une sorte de podium ou de scène comprenant quatre plateaux concentriques tournant chacun à une vitesse différente sur lesquels les spectateurs sont invités à monter. (Ce qui peut sembler au premier abord plutôt gratifiant). Ce dispositif réorganise de façon aléatoire l’assemblée des spectateurs présents lors d’un vernissage et restructure ainsi les relations qui les unit. C’est une machine destinée à briser la règle d’inattention civile. Cette règle, analysée par Erwing Goffman, et appliquée par tous au quotidien, consiste à montrer par un jeu de regard à un individu qui nous est inconnu qu’on l’a néanmoins bien vu et « que l’on est attentif à sa présence (lui même devant en faire autant) » pour, aussitôt, « détourner l’attention afin qu’il comprenne qu’il n’est pas l’objet d’une curiosité ou d’une intention particulière ». [2] Dans le cadre d’un vernissage, cette règle est, de façon assez systématique, respectée. Le participant-type échange en général deux ou trois mots avec les personnes qu’il connaît déjà, et s’il jette un coup d’œil distrait sur l’assemblée déjà présente, sur son voisin de droite ou de gauche, c’est le plus souvent pour, aussitôt, le ou la tenir en marge de son champ de vision. Les quatre plateaux concentriques perturbent le libre accomplissement de ce rituel interpersonnel. Vous venez d’accepter de jouer le jeu, vous montez sur l’un des plateaux avec l’un ou l’une de vos amis, vous entamez une discussion avec lui, mais lui est sur un cercle, vous êtes sur l’autre. Vous commencez à vous éloigner l’un de l’autre alors que votre voisin que vous vous étiez jusqu’ici poliment efforcé d’ignorer commence à entrer dans votre champ de vision. Amusement général. De nouveaux groupes se forment que nul n’aurait pu prévoir. Le moment d’euphorie relationnelle, toutefois, s’estompe assez vite pour céder la place à un sentiment d’inquiétude. Le spectateur, en effet, ne tarde pas à constater qu’il est filmé (télésurveillance) et que le dispositif concentrique sur lequel il évolue a étrangement la forme d’une cible.
En ce moment, Lilian Bourgeat cherche son sosie tout en préparant un livre avec Philippe Vuillemin, auteur phare de la BD trash humoristique. Est-il d’ailleurs besoin de le présenter ? Vuillemin a débuté sa carrière de dessinateur en 1977 en travaillant pour des revues telles que L’Echo des Savanes, Hara-Kiri et Charlie Mensuel. Lié au professeur Choron, il s’est rapidement imposé comme un de ses meilleurs héritiers spirituels. Parmi ses albums, on peut citer Saine Ardeur, Frisson de Bonheur, Hitler = SS, Raoul teigneux contre les druzes, etc. Dans le livre qu’il prépare avec Lilian Bourgeat, Philippe Vuillemin revisite l’art promotionnel à travers une série de dessins corrosifs. Ces dessins inversent en quelque sorte le modus operandi du Pop Art. Alors que le Pop utilisait la BD comme modèle sans rien y ajouter (cf. Lichtenstein, Warhol et leur art du « No comment »), c’est ici la BD qui copie l’art (en ne se privant pas d’y apporter son commentaire). On pourrait penser qu’à travers ses dessins, Vuillemin pratique une forme de critique d’art mais il faut bien insister sur le fait que sa critique n’a rien d’académique. S’il fait parler les œuvres, c’est en prenant bien soin de les faire entrer sur le terrain d’une narration dont elles n’ont plus le contrôle. Les moutons de Bourgeat en effet finissent rôtis sur un grill , ses manches à air déclenchent une érection chez le protagoniste mâle moyen (que sait si bien croquer Philippe Vuillemin), et l’artiste finit en « suicidé de la société » au bout d’une corde. Vuillemin profite de l’occasion pour éreinter un certain monde de l’art (grevé par le snobisme). Il saisit au passage des idées clichés dans lesquels a pu s’enfermer un certain art contemporain (cf. l’idée que pour être bonne, une bonne œuvre d’art doive faire question, par exemple ; idée que Vuillemin traduit par une toile sur laquelle est peinte un point d’interrogation).
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[1] Son Pinocchio pourrait avoir valeur de manifeste. L’œuvre se présente sous la forme d’une tringle faisant office de nez sur laquelle sont engagés des masques à l’effigie de l’artiste. Ceux-ci sont à la disposition du spectateur. Plus leur nombre décroît, plus la tringle est visible, plus le nez est long et le mensonge criant. La participation du spectateur devient problématique puisqu’elle ne fait qu’accroître la portée d’un mensonge initial sans jamais permettre d’atteindre le socle d’une subjectivité réelle, en l’occurrence, la subjectivité de l’individu nommé Lilian Bourgeat. Comme j’ai pu le noter ailleurs, Pinocchio peut en fait être envisagé comme une critique implicite du principe de l’ « offrande conviviale » dont parle Nicolas Bourriaud au sujet de Felix Gonzalez-Torres. Au début des années 90, en effet, Gonzalez-Torres, misant sur la générosité, conviait déjà le spectateur à prendre possession d’une partie de ses œuvres, qu’il s’agisse de bonbons ou de feuilles imprimées. Le problème de ce type de pratique est qu’elle est forcément porteuse d’illusions ; le spectateur ayant toujours, à un moment ou à un autre, la tentation de penser qu’il détient une partie de l’ « original », et par suite, le sens véritable et ultime (sous une forme incarnée) de l’œuvre à laquelle il a été confronté. Bien qu’appréciant le travail de l’artiste d’origine cubaine, Lilian Bourgeat en marque ici les limites. Le spectateur peut certes emporter un masque chez lui. Mais il ne pourra en aucun cas penser qu’il possède la « vérité » de l’œuvre. Il aura tout au plus le sentiment, au vu du nez allongé, d’en avoir fait grossir la part mystificatrice. Sans en avoir l’air, l’artiste fait ainsi passer à travers ce dispositif, qui au premier regard pourrait sembler parfaitement loufoque, une série de questions cruciales : peut-on encore parler d’œuvre authentique à l’heure du clonage et de la reproductibilité mécanique généralisée ? L’art n’est-il pas au bout du compte affaire de mensonge et d’inauthenticité ?
[2] Lorsque l’échange se déroule dans la rue, entre deux passants, par exemple, « l’inattention civile prend parfois la forme suivante : on jette un œil sur autrui à environ deux mètres de lui ; pendant ce temps on se répartit par gestes les deux côtés de la rue, puis on baisse les yeux à son passage, comme pour une extinction des feux. C’est là peut-être le plus mineur des rituels interpersonnels, mais celui qui règle constamment nos échanges en société ».
Nicolas Exertier, "Esthétique Promotionnelle (A propos de Lilian Bourgeat)", (extrait), [Version complète in Art Présence n°54, juin 2005]
©Nicolas Exertier



Lilian Bourgeat
Né en 1970.
Enseigne à l’Ecole des Beaux-Arts de Chalon sur Saône, Vit et travaille à Dijon.





nicolas "x" - La métaphysique de synthèse

© Nicolas Exertier (2006)

Kendell Geers, Electronic Revolution



"Burroughs dit que le langage est un virus dans son livre Electronic Revolution. Je me suis d’ailleurs approprié cet ouvrage. Je l’ai réédité tel quel et dans son intégralité en tant que livre d’artiste intitulé The Plague is Me en 2003 – le jeu de mot sur le plagiat étant sous-entendu. Pour moi, le langage est également une prison qui nous enferme dans un donné qui prédéfinit ce qui peut être dit ou même imaginé. Sans les mots, nous ne pourrions ni décrire ni expérimenter les choses. Je trouve que le langage est totalement autoritaire. Il est une expression des valeurs de la culture dominante et de sa moralité. Le langage est une force physique qui a un impact littéral sur nos corps; il prédétermine la relation au monde dans lequel nous vivons. Même nos émotions ne sont pas libres dans la mesure où nous utilisons tous le même mot (love) pour décrire ce que nous ressentons pour notre mère, notre père, notre petit(e) ami(e), notre chien, les pâtes, les glaces et la couleur rouge."


Propos de Kendell Geers dans un courriel adressé à Nicolas Exertier le 13 janvier 2006, cité dans « La violence innommable (Kendell Geers) »in Parachute, n°124 (Violence, Unlimited), octobre 2006, pp.58-77
©Nicolas Exertier