dimanche 6 janvier 2008

Dieter Roth (1930-1998)

Dieter Roth semblait ne pas avoir de médium de prédilection. Néo-dadaïste, il était tout à la fois peintre, dessinateur, poète, cinéaste expérimental, performer, concepteur de livres d’artiste, éditeur. Il a également produit beaucoup de tampons qui ont fait de lui une figure centrale du stamp art. Lié à Daniel Spoerri dès 1953, il a collaboré à diverses reprises, au cours des années 60-70, avec certains membres du groupe fluxus (dont Nam June Paik, Dick Higgins, George Brecht, Joseph Beuys) avec lesquels il partageait la volonté d’abolir la distinction art / vie. Il ne s’agissait pas tant pour Roth d’ouvrir l’art aux perspectives pittoresques du quotidien (comme l’avait fait le pop art) mais bien plutôt de battre en brèche l’idéalisme du monde muséal (qui croit les œuvres d’art éternelles) en attirant son attention sur ce qu’il s’était toujours refusé à considérer : la dégradation, le dépérissement, la poussière qui atteignent pourtant peintures et sculptures, qu’on le veuille ou non. Le recours à des matériaux alimentaires (chocolat, sucre, pain, viande) pour produire des objets promis à une décomposition rapide participait de cette ambition ; d’où au début, du moins, une certaine réticence des institutions. « Ici, au Pays-Bas, ils ont voulu m’acheter des objets en chocolat (était-ce le Stedelijk ?) et ils se sont renseignés pour savoir s’il n’y avait pas d’insectes là-dedans…et je leur ai répondu : mais bien sûr qu’il y en a . La réponse était : impossible d’introduire vos « objets » dans notre musée, car ces bêtes risquent d’attaquer d’autres objets exposés […]».
Big Island (1971 /1975) montre sous bulle de plexiglas une matière organique en cours de décomposition. On pourrait au premier abord penser aux Reliquaires de Bernard Réquichot. Mais chez Roth, la matière reste matière. Il est difficile de la rédimer en devinant en elle la représentation de viscères ou d’un terrain accidenté. D’abord attiré par l’effet reliquaire, le spectateur essaye de s’aventurer optiquement entre les fragments d’une matière indifférenciée. Il finit toujours par échouer, rebuté par l’aspect sale du matériau exposé. On pourrait dire de cet objet qu’il est sacré au double sens latin du terme sacer, c’est-à-dire à la fois souillé et saint (par le simulacre de l’effet reliquaire) ; il semble ainsi répondre aux exigences du bas matérialisme de Georges Bataille et, s’il n’avait été acheté ultérieurement, aurait sans doute pu trouver place dans l’exposition L’Informe organisée par Yve-Alain Bois et Rosalind Krauss, en 1996, au Centre Georges Pompidou.
Extrait de Art contemporain : un choix de 200 œuvres du Fonds national d’art contemporain (1985-1999), Editions du Chêne, Paris, 2001.
©Nicolas Exertier

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